Rester solidaire dans un monde en crise

Illustration : Maori Sakai

Les terribles séismes survenus à la lisière de la Turquie et de la Syrie, dans la province de Kahramanmaras, ont fait, à ce jour, plus de 36 000 morts, selon les derniers bilans officiels. Dans un froid glacial, les casques blancs (des volontaires de la protection civile) continuent de mener une course contre la montre pour tenter de porter secours aux personnes restées piégées sous les décombres. Les paysages de désolation, insoutenables, s’étendent dans cette région du monde qui inondent les réseaux, posent plus que jamais la question : “comment aider ?”. L’aide internationale a commencé à arriver en Turquie, où un deuil national a été décrété pour sept jours. Le pape François a lui aussi appelé mercredi dernier à la solidarité internationale. Une fois encore. Car hélas, les victimes turques et syriennes sont loin d’être les seules populations nécessitant de l’aide.

Une définition volatile

Le terme vient du latin “solidus”, signifiant “solide, massif, formant un tout”. On y ajoute "l’obligation morale de ne pas desservir les autres (membres d’une communauté) et de leur porter assistance". Parmi les synonymes que lui accolent les dictionnaires, on trouve "le fait de se serrer les coudes", la "camaraderie", "l’entraide" ou encore la "fraternité".

Pour la philosophe Marie-Claude Blais, la solidarité regroupe l’altruisme, le sacrifice ou encore l’interdépendance. Elle lie la volonté de se battre pour une cause supérieure et le sentiment d’appartenance à un groupe. Elle renvoie au dépassement de soi au profit d’un tout, d’une communauté qui peut aller jusqu’à l’humanité toute entière.

Pour Jacques Malet, docteur en philosophie de l’éducation, la solidarité n’est pas à confondre avec la générosité. La solidarité c’est agir avec les autres, plus que pour les autres. Souvent, elle est ce qu’elle manque à la générosité individuelle, qui peut vite s’essouffler faute de grands résultats : quand tout le monde rame dans le même sens, ça donne de plus grands effets. Il oppose aussi deux types de solidarité : la solidarité spontanée “coup de coeur” (une solidarité réflexe, dans l’instant des drames) et la solidarité construite (intégrée au style de vie, sur le long terme).

Le concept de solidarité reste néanmoins un concept volatile et complexe, ne serait-ce qu’en raison de la loi de proximité, aussi appelée loi du mort kilométrique (la mort d’une personne vivant à proximité est donc censée être plus “concernante” que la mort de plusieurs milliers de personnes survenue dans un pays lointain. Dit autrement, loin des yeux, loin du coeur, pour citer l’adage populaire). Il se complexifie aussi du fait d’expressions telles que “délit de solidarité”, employée dans le débat public lorsque quelqu’un vient, illégalement, en aide à des migrants.

Ce que ça nous apporte

Selon le neurologue Pierre-Marie Lledo, les bienfaits de la solidarité se mesurent aussi à l’échelle individuelle : “ces comportements participent à la production de sérotonine (hormone de la régulation des humeurs, responsable du sentiment de quiétude) dans le cerveau”.

Dans sa célèbre pyramide des besoins, le psychologue américain Abraham Maslow place au sommet des besoins fondamentaux de l’être humain le besoin d’appartenance, le besoin d’estime (de soi et de la part des autres) et le besoin d’accomplissement (la quête de sens). Et la solidarité répond à ses besoins fondamentaux.

Dans l’entreprise, exercer une activité désintéressée est valorisant aux yeux de la société. Les études montrent une augmentation de l'engagement solidaire des TPE et PME en France : dons de jours de congé, distributions alimentaires, chantiers solidaires… Les nouvelles générations, elles, se tournent de plus en plus vers les petites structures de l'économie sociale à taille plus humaine. Pour le psychanalyste Luis Spinoza, lorsqu’on se donne aux autres généreusement, on rentre chez soi avec une impression de richesse intérieure immense. On ne gagne pas d’argent, mais il n’y a pas de gratuité non plus : on reçoit énormément. La dimension de plaisir et d’épanouissement est donc toujours présente.

Un avenir compromis ?

Toutefois, la solidarité n’est pas nécessairement porteuse de bien-être et d’accomplissement. Un acte solidaire engage souvent la totalité de son être et, parfois, les causes ou les personnes pour lesquelles on se bat aboutissent à un échec. Le don de soi n’est pas toujours récompensé et l’assistance à autrui se paye aussi d’une fatigue compassionnelle bien connue des personnels de soin et de tous les aidants.

En outre, qui dit solidaire dit communauté. On peut, certes, se sentir solidaire de l’humanité toute entière mais parfois, la solidarité avec les siens peut entraîner le mépris des autres, alors qu’en réalité, on peut cumuler les deux : aimer les siens n’implique pas de détester les autres. Nous sommes capables de supprimer toute forme d’empathie, en déshumanisant l’autre, en le réduisant parfois à moins qu’un animal. “Quand l’autre ne nous ressemble plus, pourquoi éprouver de la compassion ? On a notamment pu voir ces effets pendant la Seconde Guerre Mondialeexplique Frans de Waal.

Comment aider en Turquie et en Syrie ?

“La priorité numéro une, c'est de fournir de l'eau potable (...) le seul moyen d'éviter qu'il y ait une deuxième catastrophe, c'est-à-dire que [les rescapés] meurent de soif ou que des maladies se propagent” explique Ann Avril, directrice France de l’Unicef. Il est possible de faire un don directement ici. En moyenne, “cinq euros permettent de purifier 1.500 litres d'eau potable”. Il n'y a donc pas de petit don.

La Fondation de France collecte des dons ici pour construire des abris aux victimes.

Le Secours populaire propose de faire un don en ligne ou dans l'un des 700 comités locaux à travers la France. L'association vient de débloquer 100.000 euros de son fonds d'urgence, pour apporter des habits chauds et des produits de première nécessitéet les dons serviront notamment à continuer le travail "post-urgences" et la "reconstruction". L'association a déjà envoyé une équipe dans la région de Gaziantep, en Turquie. Une autre équipe de 25 bénévoles est aussi en route vers Alep, en Syrie.

Il est également possible de faire un don à Médecins Sans Frontières, qui a lancé une intervention, ainsi qu'aux Casques blancs, des secouristes volontaires qui interviennent principalement dans les zones de Syrie contrôlées par les rebelles.

L'aide en Syrie y est d'autant plus cruciale que “la situation de la population était déjà dramatique”, explique Raphaël Pitti, un responsable de l'ONG française Mehad, particulièrement inquiet pour la province d'Idleb. Il appelle à “rouvrir les corridors humanitaires” en Syrie.

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